Ralu
Se choisir, envers et malgré tout
Nous sommes tous des produits de nos parents. C'est par leur union que nous prenons vie. C'est de leur amour et de leur foi dans la vie que nous naissons. A travers le processus de naissance nous héritons d'un ensemble de traits génétiques qui nous lie à eux. Nous héritons leur couleur des yeux, certaines lignes du visage ou certaines caractéristiques physiques. Mais nous héritons aussi des dominantes psychologiques qui vont s'amplifier lors du processus éducatif. Tout comme l'ensemble des caractéristiques de notre personnalité d'ailleurs !
En ce qui me concerne, je suis un bon produit de mes deux parents. Je n'ai pas choisi les ingrédients me constituant, malheureusement. J'ai les cheveux de mon père et beaucoup d'attributs physiques de ma mère. J'ai la chance d'être dotée d'intelligence, d'empathie, de rigueur, d'un don de la communication et de la transmission que j'entretiens chaque jour. Mais j'ai aussi un caractère de cochon, je suis têtue, cynique ou parfois froide et distante même avec mes proches.
Je reconnais à chacun de mes parents des qualités et j'espère être à la hauteur de leur propre projection sur moi. Seulement...en autorisant cette projection à l'âge adulte je réalise que je m'empêche de trouver ma propre harmonie, mon équilibre. Je m'empêche de vivre ma vie, telle que je l'imagine, avec mes libertés, mes choix et la réalisation de mes rêves. En gros, je vis la vie que mes parents ont rêvé pour moi (et encore, ce n'est que ce que j'ai bien pu imaginer de leur projection), mais pas celle que je rêve pour moi-même. Et c'est bien triste, car je passe à côté du bonheur.

Quand je pense à mes parents le mot complémentaire me semble bien les illustrer. Ou plutôt Yin/Yang.
D'un côté, mon père. Il est jouisseur de la vie, seul le moment présent lui importe. Son bonheur passe par sa liberté d'action et par le temps passé avec la famille et les amis. Toujours prêt à rendre service, il a tendance à oublier les priorités. Il ne voit aucun intérêt à l'égo. Ainsi, vivre dans une grande ville, avoir une fonction importante lui importe trop peu. En échange, la famille, la nature, le partage sont les éléments constitutifs de son bonheur. Il est doté d'un libre arbitre et tellement centré sur ses propres désirs et besoins que la société de consommation n'a pas d'effet sur lui. Vivant dans le moment présent, il ne s'inscrit pas dans le temps.

Ainsi, un crédit à long terme, économiser pour un PEL, avoir un plan de carrière ou attendre longtemps avant de jouir de usufruit de son implication sont impossibles. Si on lui applique la théorie du chamallow, il ne se posera même pas la question, il le mange tout de suite !
De l'autre côté, ma mère. Elle est besogneuse, minutieuse, rigoureuse et psychorigide sur les bords. Sa vie est faite de rigueur militaire, de règles, de "on doit" et "on est obligé". Elle se conforme à ce qu'elle a appris et aux qu'en dira-t-on. Sujette à la consommation de masse, elle aime les marques et se sent reconnue lorsqu'elle peut appartenir à un groupe. Elle peut être un caméléon, mais son système de défense l'empêchera à jamais à se livrer simplement. Le partage, la communication, la transmission se passent en force et l'adhésion est presque impossible, car pas de partage de valeurs ou de passions possible. Elle n'est pas tout à fait une jouisseuse de la vie, puisqu'elle ne vit que dans le regret. Elle aussi a du mal à s'inscrire dans le temps. Elle aussi mange son chamallow sans trop se soucier de la suite.
Quant à moi...ben le mélange n'a pas bien pris. Ou alors, il a tellement bien prix qu'il me colle à la peau comme de la pâte à choux. Je peux être chacun de mes parents à ma fois, mais aucun ne me satisfait. Mon épanouissement ne semble venir que d'une harmonie entre les deux. Moi aussi je suis un caméléon. Je ne suis jamais tout à fait moi-même, car j'ai peur des gens. Je ne suis jamais tout à fait moi-même car je nourris deux visages : celui de la projection de mes deux parents sur moi.

Je me sens comme Janus, avec mes deux Moi dos à dos constamment. Je réagis aux événements avec le mode hérité de mon père ou avec celui hérité de ma mère. Mais aucun de ces deux agissement ne me rend heureuse, puisque je me sens incomplète. Même si dans mes actions j'oppose ce qui me vient de mes parents, je ne peux pas nier que les deux parties sont constitutives de moi. Mon bonheur d'adulte passera par une harmonie entre les deux. Telle que j'imagine cette harmonie, elle est basée sur un dosage différent des qualités et défauts hérités et surtout de la mise en place d'un libre arbitre.

Je vois ma vie comme une table de mixage ou je dois équilibrer mes agissements afin de trouver un juste milieu qui me représente. Le curseur ne peut être activé qu'en mouvement, qu'en essayant, qu'en se trompant. Mais pour cela, il faut laisser le passé au passé.
Krishnamurti appelle cela : "mourir au passé", ma thérapeute : "se choisir soi". Pour moi...c'est la cuisine qui m'inspire et je dois garder seulement les ingrédients qui participent à mon bonheur. Mais lorsqu'on a laissé passer un tiers de sa vie entérinant comme "bon" soit le model maternel, soit le model paternel, quelle légitimité se donner en tant qu'adulte ?
Voici mon interrogation de vie. Que veut dire me choisir ? Ou plutôt, comment me retrouver derrière la construction empirique que je dresse comme un pare-vent depuis des années ? Je suis un peu de chacun de mes parents. Je me retrouve, à des dosages différents dans chacun d'entre eux. Mais je ne me retrouve jamais intégralement dans l'un ou dans l'autre. Ma vie en mode alternatif (soit/soit) m'a permis, comme à mes parents d'ailleurs, de ne pas construire beaucoup de choses dans le temps. Pas d'engagement à moyen ou long terme. Possibilité de changer de vie, de changer de métier. Et pourtant, je ne l'ai pas fait. Cela fait neuf ans que j'oeuvre à un début de carrière. Neuf ans ou je danse avec la vie : un pas en avant, deux en arrière, un sur le côté et retour au point de départ.
Me choisir moi, en tant qu'adulte se résumerait à m'accepter avec mes failles, avec mon Ombre. Mais je n'ose même pas la regarder dans les yeux, car elle m'effraye. Elle m'enferme dans du noir et j'ai peur du noir. Et pourtant, tous les voyants sont au rouge, je dois faire de plus en plus de choix qui me sont propres. Plus personne n'a de pouvoir sur ma vie. Plus personne ne peut me conseiller, puisque mon bien, je suis la seule à le connaître. Et je commence à l'accepter, parfois dans la douleur, parfois dans le plaisir.
Se choisir c'est s'émanciper. C'est choisir de devenir sa propre référence dans la vie. Considérer que nous avons les meilleures réponses et solutions à nos interrogations de vie. C'est sauter du bout de la falaise ne sachant pas si on va s'écraser ou si on va voler....mais garder foi dans la vie et sauter quand même pour se rendre compte que l'image de la petite chenille chétive que nous voyons en nous s'est transformé en papillon. Et que la vie et le monde nous appartient dans toute sa splendeur.
J'accepte de sauter dans le vide de ma vie, j'accepte de vivre pleinement en assumant la responsabilité de mes choix. J'accepte de me choisir face à d'autres "idoles". Je suis ma seule option viable désormais.